dimanche 10 mai 2020
Déconfinement. J-1
Alors ça y est...plus qu'un seul long week-end en jog' et cheveux gras avant d'éblouir à nouveau les usagers de la ligne 13.
Je me suis dit au départ que cette période allait être une super (oui, bon) opportunité pour écrire sur cette expérience extraordinaire, dans le sens littéral du terme. Que j'allais forcément pondre un truc profond sorti des tréfonds de mon âme, avec qui j'allais passer un certain temps en tête à tête.
Et puis non. Les deux mois sont passés, je n'ai rien écrit, et ma mémoire est déjà sélective.
Première étape, la sidération.
A l'annonce de la fermeture des collèges, je prends un TGV dans le buffet, comme dirait l'autre. Un gros coup sur la tête, l'impression d'évoluer dans un nanar post-apocalyptique, avec Brad Pitt en sauveur de l'humanité. Le flingue à la main, sexy en cuir, tout ça. Mon amie Steph m'appelle : 'on en parle de cette ambiance de fin du monde???'. Oh oui on va en parler, on va faire que ça. Brad? You there? Ah ben non, Brad il est confiné dans son 2 pièces comme tout le monde, c'est pas de la fiction.
On s'organise comme on peut, et chacun doit faire avec les composantes de sa vie arrêtée au moment M: le lieu de confinement, l'espace dont tu disposes, le nombre d'enfants, leur âge et niveau scolaire, son statut (marié/célibataire/divorcé/c'est compliqué), boulot/pas boulot, voilà, démerde-toi avec ça. Gros arrêt sur image.
Et maintenant, comment je gère? Mon fils qui s'enferme dans la salle de bain pour bosser 'parce que ça capte mieux que dans ma chambre', l'impression de faire à bouffer toute la journée, la reprise frénétique du footing (oui, je sais), la folie des réseaux sociaux, les apéros Skype faussement joyeux, qui ne nous feront pas rire longtemps. La livraison de tes capsules Nespresso, en mode 'sans contact', avec un livreur aussi terrorisé que toi qui finit par balancer ton colis dans l'ascenseur.
Des profils se dessinent : le bon confiné (le provincial raisonnable), et le sale connard de parisien, qui a fui vers la province et qui court en crachant du virus sur tout le monde. Ton date Tinder rencontré 3 jours avant le confinement, ah ben merde. 135 balles d'amende pour aller boire une 8/6 à la paille sur un banc public crado avec les pigeons qui te chient dessus? Pour le 2e RV, on verra plus tard.
Et puis on prend un rythme. Chômage partiel. Passé le 'putain j'ai plus de boulot', on s'aperçoit que ça fait du bien. Ciao les mails, la pression, les coups de fil incessants et les visio-conférences. Silence. Exit aussi les faux amis, qui te pompent ton énergie et t'appellent pour savoir si tu t'en sors 'dans ton TOUT petit appartement'. Tu réalises aussi que si t'étais pas fan de ménage et une brêle en cuisine, le confinement ne changera pas la donne non plus. Après quelques efforts en mode 'puisque je vais avoir du temps', j'ai lâché l'affaire. Cuisiner ça me fait chier, retour chez Picard (coeur avec les doigts pour vous qui êtes restés ouverts pendant la crise). Que si tu étais con avant, tu le seras après. Que tes meilleurs amis sont tellement précieux. Que ton fils a vachement progressé en Fortnite. Et que tu te demandes comment ça va se passer, finalement, la rencontre avec ton match Tinder sur laquelle tu as tellement fantasmé.
BFM en perfusion, ça te passe, aussi. Infos au compte-goutte, 1 fois par jour pas plus, sous peine de finir en HP. Machin y dit que, le professeur truc y dit que..., et Pascal Praud qui comprend pas : 'Mais alors masques ou pas masques??'.
On arrête de se mettre la pression. Les premiers jours, tu te fais une to-do list géante avec tout ce que tu vas pouvoir faire avec ce temps libre : ranger, cuisiner, bouquiner, faire des jeux éducatifs avec tes gosses...parce que c'est comme ça que tu fonctionnes tout au long de l'année. Faut remplir. Tu bosses comme un âne, dès que tu as 2 minutes pour toi, tu en 'profites': shopping, ciné, expos, des gens à voir, tu passes ta vie à courir comme un poulet sans tête. Sauf que là t'as une heure par jour pour courir, sur 1km. Tu dégages les vidéos des mères parfaites, toujours promptes à sauter sur le créneau du 'chui au top': 'aujourd'hui on va faire des cordes à sauter en pâte à sel et on va trop bien s'amuser, quelle belle opportunité que ce confinement, on va pouvoir passer du temps en famille'. Elles ont vite disparu, ces vidéos...même les mères parfaites ont dû péter un boulon et finir alcooliques, comme tout le monde.
Bizarrement, tu te dis que c'est passé vite ce confinement dont tu ne voyais pas le bout. Bon il y a bien eu quelques journées de merde, en mode 'Fuck it, fuck this, fuck that, fuck you'. Sur une journée 'confinement', ça se traduit par le ras-le-bol des 4 activités planifiées sur tes journées: T'as pas envie de lire, t'arrives pas à te concentrer sur ta série Netflix, ta sieste dure 2 minutes, t'as zéro motivation pour ta séance de sport sur YouTube.Tes putains d'attestations à remplir pour ta seule activité 'plein air' de la journée, les courses au Monop'. Et la grosse tentation de trafiquer cette même attestation pour dépasser la misérable heure d'activité physique journalière généreusement octroyée par le gouvernement. Mais bon à 19h, t'as plus envie d'aller courir. Allez hop, apéro.
Mais le temps passe, malgré tout, même si on a du mal à se rappeler quel jour on est.
Et là, bim! Reprise du boulot. Aïe, ça pique.
En dehors du grand épanouissement dans la sphère familiale reconnu par tous, la France a fait une grande découverte. Mesdames et messieurs, roulement de tambours....le télétravail! C'est pas comme si on en parlait depuis 20 ans, hein.
Stupeur dans les entreprises. Mais les gens bossent, en fait! Les salariés seraient-ils dignes de confiance?!? Incroyable...On loue des bureaux à prix d'or, on oblige les gens à faire 3h de transport par jour, pour les avoir sous le nez à 9h et être sûrs qu'ils justifient leurs gras salaires, toutes ces feignasses. Cette résistance au travail à distance a été flagrante pendant la grève des transports, particulièrement en région parisienne. Beaucoup de mes amis, qui sont parfaitement capables de travailler de chez eux, ont dû se taper des journées infernales pour assurer le fameux 'présentiel'. Venir au bureau tu dois. Pas de métro? Démerde-toi, il n'est pas question que tu restes à glander chez toi en pyjama. Et là, c'est qui-qui a trouvé que le télétravail c'était top pour continuer d'assurer l'activité? Ben les mêmes. Moi ça fait 10 ans que je bosse en télétravail, et que je me tue à expliquer à tout le monde que oui, je bosse. Beaucoup. Que c'est juste une organisation différente. Mais bon, j'ai vu circuler des vidéos avec des câââdres, qui expliquent à quel point ils ont kiffé de faire leurs conf-call en Birk. Si c'est des hommes qui le disent, ça finira peut-être par être entendu. CQFD.
En même temps je ne me fais pas d'illusions : le monde 'd'après' ressemblera fortement à celui d'avant. Deux mois pour faire sa révolution intérieure, finalement c'est peu. Mais sans aller jusqu'à la révélation de la vacuité de ta vie et le départ pour aller rejoindre Matthieu Ricard au Tibet, le confinement aura eu quelques vertus, parfois. Savoir que l'on peut être seul et apprécier sa propre compagnie, que vivre un mois sans rien acheter d'autre que de la bouffe c'est faisable, réaliser que tu n'a pas besoin de grand-chose, finalement. Que tu vas quitter ton mari pour ton amant. Que les profs devraient être payés cher pour supporter 30 gosses tous les jours et arriver à les faire bosser. Etc...
Et puis il y a ceux qui n'en auront rien retiré. Les mecs qui se sont retrouvés coincés avec une famille dont ils n'ont rien à cirer, une femme et des gosses qu'ils ne voyaient que très peu et qui étaient là pour le décor. Qui ne vivent que pour leur boulot et qui se retrouvent coincés, eux des 'managers', dans la même situation que l'éboueur du coin. En moins utile. Le virus les prive de leur statut social et de leur petit pouvoir dont ils aiment tant abuser. Foin de remise en question pour eux durant le confinement. Ils n'attendent qu'une chose, le retour pleine balle au boulot, pour 'rattraper le retard'. Et toi qui sort d'hibernation et qui se dit 'Mais qu'est-ce qu'il me raconte ce con?'
Et puis voilà, aujourd'hui c'est le 10 mai.
Et la gueule du déconfinement ne ressemble pas du tout à ce qu'on s'était imaginé. On fera pas de grosse fête, finalement. C'est plutôt ambiance gueule de bois. Limite si on a envie de sortir. C'est fou ça quand même! Et en plus il pleut...Mais quel bonheur, quand même. Alors on va y aller, tout doucement. Et retrouver les gens qu'on aime💖.
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